La conférence climatique des Nations unies COP30 à Belém a illustré un fossé profond entre les ambitions mondiales et la réalité politique. Le document final, dépourvu même d’une mention symbolique des énergies fossiles, a été perçu comme un recul. Dans ce contexte, l’avertissement ukrainien a résonné avec d’autant plus de clarté : l’expansion du GNL russe en Arctique doit être stoppée.
Il s’agit en réalité de la dernière grande source de revenus en devises pour Moscou qui n’a pas été systématiquement visée par les sanctions. C’est pourquoi elle est devenue un élément stratégique non seulement de l’économie russe, mais aussi de son appareil militaire.
L’Arctique comme oxygène financier de la guerre russe
En trois ans, le modèle économique russe s’est simplifié — et radicalisé : l’exportation d’énergies fossiles alimente l’agression. Après l’effondrement des livraisons de gaz par pipeline vers l’Europe, le Kremlin a misé sur le projet le plus longtemps épargné par les sanctions : le GNL arctique.
« Yamal LNG » fonctionne à pleine capacité : plus de 17 millions de tonnes de GNL par an, près de 9,5 milliards de dollars de recettes fiscales entre 2022 et 2024 — des revenus qui se transforment littéralement en munitions et en drones.
La dépendance reste élevée : l’UE absorbe 50 % du GNL russe, la Chine 21 %, le Japon 19 %, la Corée du Sud 10 %.
Une infrastructure occidentale indispensable
Le paradoxe est saisissant : les projets arctiques russes reposent largement sur des infrastructures occidentales, bien que ces pays soutiennent officiellement les sanctions.
La flotte de méthaniers ARC7 — colonne vertébrale des exportations arctiques — est majoritairement opérée par des compagnies britanniques, grecques et japonaises. Les terminaux de Zeebrugge et Dunkerque servent de hubs de transbordement. Assurance, classification, maintenance : tout dépend d’entreprises situées dans la juridiction du G7.
Autrement dit, pas un seul mètre cube de GNL arctique ne quitterait la Russie sans le soutien indirect de l’Occident.
Le piège énergétique des contrats de long terme
Les États du G7 sont bloqués moins par la géopolitique que par le droit commercial. Les contrats de TotalEnergies, SEFE et Shell sur Yamal LNG courent jusqu’à la fin des années 2030 ou 2040.
Les rompre provoquerait une avalanche de litiges — un risque juridique qui pousse les entreprises à rester liées. Le Kremlin y trouve un instrument idéal : une dépendance énergétique à longue durée.
Pendant ce temps, Moscou augmente ses capacités : d’ici 2035, elle prévoit de tripler ses exportations de GNL à 100 millions de tonnes. Le projet Arctic LNG-2 a repris vie grâce à des contrôles plus laxistes des sanctions.
L’Arctique comme point de non-retour climatique
La région se réchauffe quatre fois plus vite que la moyenne mondiale. Toute extension de l’extraction fossile y constitue un accélérateur direct du dérèglement climatique.
Les infrastructures de GNL aggravent les risques de fuites de méthane et fragilisent le pergélisol — un régulateur naturel du carbone. L’ouverture de la Route maritime du Nord pour le transport énergétique ajoute un enjeu stratégique : la militarisation d’un espace autrefois protégé par ses conditions naturelles.
Aucun scénario permettant de maintenir le réchauffement sous 1,5 °C n’est compatible avec l’expansion gazière russe en Arctique.
Que peuvent faire les pays du G7 ?
Les pays du G7 disposent d’outils qui ne nécessitent pas d’actions « dures ».
La Russie ne peut exporter son GNL arctique sans les méthaniers, les assureurs, les ports et les chantiers navals occidentaux.
Des sanctions ciblées similaires à celles contre Arctic LNG-2 pourraient suffire à frapper Yamal LNG.
L’Europe avance déjà dans cette direction : le 19ᵉ paquet de sanctions inclut une interdiction du GNL russe. Le document RepowerEU pourrait aller plus loin en bloquant juridiquement les prolongations de contrats et en protégeant les entreprises contre les recours de Moscou.
Conclusion : on ne peut plus séparer climat et sécurité
L’avancée russe en Arctique représente un double risque :
- un accélérateur du dérèglement climatique dans la région la plus fragile de la planète ;
- un soutien direct à la base économique de la guerre contre l’Ukraine.
Chaque cargaison de GNL russe est à la fois une contribution au chaos climatique et un financement de l’agression.
La question n’est plus celle de l’efficacité des sanctions — elle est démontrée. La vraie question est politique : les États-Unis et le G7 sont-ils prêts à couper la dernière artère du secteur fossile russe ?
