La « phase zéro » sans guerre : comment la Russie met l’Europe à l’épreuve à la frontière d’un conflit avec l’OTAN

La Russie passe progressivement de pressions dissimulées à des actions démonstratives à l’encontre des pays européens, créant les conditions d’un potentiel affrontement direct avec l’OTAN. C’est ce que souligne une nouvelle analyse de l’Institute for the Study of War (ISW), qui constate l’entrée de Moscou dans ce qu’il appelle la « phase zéro » de la préparation à la guerre.

Les analystes de l’ISW définissent la « phase zéro » comme une étape de préparation informationnelle et psychologique, au cours de laquelle l’État agresseur ne mène pas encore d’actions militaires ouvertes, mais modifie délibérément la perception de la menace, tant à l’intérieur du pays qu’à l’étranger.

À ce stade :

  • les provocations sont progressivement normalisées ;
  • les réactions de l’adversaire sont testées ;
  • l’idée s’installe que la violation de frontières ou de règles relève non pas de « l’escalade », mais d’un simple « incident ».

Cette logique permet au Kremlin de brouiller la frontière entre paix et guerre, sans franchir formellement les « lignes rouges ».

L’incident de Narva comme test de contrôle

L’événement survenu le 17 décembre à la frontière estonienne constitue une étape qualitativement nouvelle de cette stratégie. Le franchissement documenté de la ligne de contrôle par des gardes-frontières russes en uniforme est le premier cas de ce type depuis le début de la « phase zéro », que l’ISW fait remonter à septembre 2025.

Il ne s’agissait ni d’une erreur de navigation ni d’un accident. Trois agents russes armés sont entrés délibérément sur le territoire d’un pays de l’OTAN, ont longé un quai, puis sont repartis tout aussi ostensiblement, avant toute réaction de la partie estonienne.

C’est un exemple classique de provocation maîtrisée sans escalade immédiate, qui permet ensuite à Moscou de minimiser ou de nier la gravité de l’incident.

Pourquoi la Russie agit-elle de cette manière ?

Ce mode opératoire révèle la volonté du Kremlin de :

  • tester la rapidité de réaction de l’OTAN ;
  • fixer les limites du tolérable ;
  • créer un précédent de violation impunie.

Il ne s’agit pas d’une offensive militaire, mais d’une pression psychologique et symbolique, destinée à user les adversaires et à les habituer progressivement à ce type d’actions.

La réaction de l’Estonie : un signal, mais pas une dissuasion

Les autorités estoniennes ont documenté la violation, renforcé les patrouilles et établi un contact officiel avec la partie russe. Il s’agit d’une réponse procéduralement correcte, mais qui, dans la logique de la « phase zéro », ne suffit pas à elle seule à stopper de futures provocations.

Pour Moscou, l’élément clé n’est pas l’issue de l’incident, mais le fait que la réaction intervienne après la fin de l’action provocatrice.

L’Europe face à un choix

La stratégie actuelle de la Russie ne vise pas une guerre immédiate avec l’OTAN. Son objectif est de préparer le terrain informationnel et psychologique, afin qu’un éventuel conflit futur ne paraisse ni choquant ni impensable.

C’est précisément ce qui rend la « phase zéro » si insidieuse : officiellement, « il ne se passe rien », mais chaque pas suivant devient un peu plus audacieux que le précédent.

L’incident de Narva n’est donc pas une coïncidence, mais un signal d’alerte : la Russie ne se limite plus à la rhétorique et passe désormais au test pratique des frontières de sécurité européennes.

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